Oscar Straus: Avant-propos

Fedora Wesseler & Stefan Schmidl
Beiträge zur Annäherung an einen zu Unrecht Vergessenen
21 June, 2017

Il n’est guère de compositeur du vingtième siècle qui ait été jadis aussi fêté de part et d’autre de l’Atlantique et soit ensuite tombé dans un oubli aussi complet qu’Oscar Straus, l’homme que Franz Mailer appela « le “citoyen du monde” de la musique ». C’est un fait : Straus, qui fut considéré comme l’héritier de Jacques Offenbach et comme le nouveau « roi de la valse », dont les mélodies firent le tour du monde et qui compta parmi ses amis George Gershwin, Max Ophüls ou Albert Einstein, n’est plus aujourd’hui une référence que pour un très petit nombre de gens : malgré quelques tentatives pour attirer de nouveau l’attention du public sur certaines de ses œuvres, la plupart de celles-ci demeurent presque inconnues – tout au plus Rêve de valse (Ein Walzertraum) et la version américaine de Der tapfere Soldat, The Chocolate Soldier (également créé en 1911 en France sous le titre Le Soldat de chocolat), se sont-ils maintenus au répertoire, surtout en raison de leurs adaptations au cinéma dans des distributions prestigieuses.


Le volume que nous éditons aujourd’hui se propose de tirer de l’oubli le créateur prolifique que fut Oscar Straus et de présenter quelques-unes de ses œuvres en étudiant en détail les circonstances de leur composition et leurs particularités. Le fait que la carrière de Straus ne se soit pas limitée à une seule ville ou à un seul pays mais qu’elle ait eu un caractère transcontinental, fait des recherches rassemblées ici un aperçu de l’histoire culturelle européenne depuis la fin du dix-neuvième siècle jusqu’à l’immédiat après-guerre, et a joué un rôle essentiel dans la constitution de ce volume. Straus a passé une partie si décisive de sa vie en France et il y était si célèbre qu’au début de la Première Guerre mondiale, une couverture en laine oubliée par Ophüls dans le compartiment de train de Straus put être restituée sans problème à son propriétaire malgré le désordre ambiant, parce que tous les employés des chemins de fer connaissaient « le Maître Straus » et qu’il suffisait d’indiquer son compartiment pour qu’ils sachent aussitôt à quel endroit l’objet avait été égaré ! Straus écrivit plusieurs opérettes spécialement pour des scènes parisiennes et il travailla aussi avec les stars françaises de son temps. Pour rendre justice à cet aspect de son activité jusqu’ici rarement considéré, le présent ouvrage contient des contributions dues autant des chercheurs français qu’à des germanophones. Désireux de rendre compte de la complexité à laquelle se trouve confronté quiconque entreprend d’étudier de manière approfondie la création strausienne, nous avons délibérément invité des spécialistes de différentes disciplines (musicologie, études théâtrales, histoire culturelle, études littéraires) à contribuer au présent volume.

Les perspectives qui s’ouvrent de ce fait permettent des aperçus surprenants, s’enrichissent mutuellement et mettent en lumière sous différents angles l’activité d’un homme dont les talents exceptionnellement variés allèrent de la chanson de cabaret à la musique de film en passant par la grande opérette.

Poster for the Ernst Lubitsch version of "Ein Walzertraum," the movie "The Smiling Lietenant" (1931).

Poster for the Ernst Lubitsch version of “Ein Walzertraum,” the movie “The Smiling Lietenant” (1931).

En ouverture, Susana Zapke suit pour les nous les étapes de la vie du cosmopolite que fut Straus et brosse un tableau du contexte historique et intellectuel dans lequel sont nées ses œuvres, grâce à une série d’instantanés des différentes villes où a vécu le compositeur. Peter P. Pachl déploie l’arc qui va du célèbre cabaret viennois « Überbrettl » aux Perles de Cléopâtre et démontre combien, en plus du potentiel politique de ses œuvres marquées par cette tradition cabaretière, Straus se dérobe à toutes les étiquettes simplistes qui n’ont cessé de lui être appliquées. C’est également en partant de l’Überbrettl que Margareta Saary décrit la relation complexe et très rarement évoquée entre Straus et Arnold Schönberg, soulevant ainsi la question de « l’intemporalité » des œuvres, tandis que Wolfgang Partsch voit dans les Joyeux Nibelungen une continuation de la tradition de cabaret qui ne doit pas être lue seulement comme une parodie virtuose de Wagner, mais aussi comme une œuvre dont la force de critique sociale, d’une perspicacité étonnante, garde sa validité jusque très avant dans le vingtième siècle. Fritz Schweiger, quant à lui, adopte la perspective inverse, à savoir celle de la tradition dans laquelle s’inscrit le compositeur, et se livre à un classement des valses d’Oscar Straus qui prouve que tout, chez ce dernier, n’est justement pas « que valse ». La relation largement méconnue de Straus avec Arthur Schnitzler et l’insuccès du projet de mise en musique de la pièce en un acte de ce dernier, Cassian le Téméraire, sont au cœur de l’article d’Oswald Panagl. C’est la même recherche de nouvelles formes théâtrales qui conduisit Schnitzler à écrire cette pièce pour marionnettes et qui, d’un autre côté, aboutit aux airs à succès qu’Oscar Straus composa pour la grande star de l’époque, Fritzi Massary. C’est à ces énormes succès et à la question de la place de la femme dans l’opérette que se consacre Dorothea Renckhoff, esquissant ainsi un aperçu du paysage théâtral du Berlin des années 1920 et 1930. Une de ces opérettes, Les perles de Cléopâtre, est analysée en profondeur par deux de nos auteurs : si Isabel Grimm-Stadelmann s’intéresse avant tout au contexte, où se mêlent exotisme et passion pour l’Égypte, Guy Ducrey, quant à lui, montre que la Cléopâtre de Victorien Sardou est le maillon intermédiaire surprenant qui relie la tragédie de Shakespeare à l’opérette de Straus, ce qui le conduit à souligner l’ambiguïté de celle-ci. Danièle Pistone nous propose un aperçu d’ensemble de la carrière de Straus et de ses rapports avec la France, jusqu’aux représentations de ses œuvres au cours des dernières décennies. En étudiant Mariette, Florence Fix ne s’intéresse pas seulement à la collaboration de Straus avec Sacha Guitry mais met aussi en lumière la question particulière de la représentation de personnages historiques. Dans sa deuxième contribution à notre volume, Margarita Saary montre en Oscar Straus un pionnier du cinéma parlant et dévoile le lien souvent caché au spectateur d’aujourd’hui entre film et opérette. C’est également de cinéma que traite Jérôme Rossi en analysant la relation créatrice entre Oscar Straus et Max Ophüls ; il fait ainsi ressortir l’esthétique particulière qui imprègne à plusieurs niveaux les films auxquels Straus fut associé. En conclusion, l’étude par Günter Krenn de la genèse protéiforme de la musique du film La Ronde ne nous mène pas seulement jusqu’aux années 1950, mais nous ramène aussi aux débuts du compositeur, dans la première décennie du vingtième siècle, à l’époque où Schnitzler refusa catégoriquement que sa pièce fît l’objet d’une mise en musique.


Bien entendu, le présent ouvrage ne prétend aucunement à l’exhaustivité. Certains lecteurs regretteront peut-être l’absence de travaux sur telle ou telle œuvre, telle ou telle des personnalités avec lesquelles Straus fut en contact, ou encore tel ou tel aspect précis qu’il conviendrait d’étudier dans les œuvres abordées ici. Manquent, par exemple, une étude détaillée du Soldat de chocolat ou une contribution portant sur certaines des amitiés littéraires de Straus ou sur certains de ses librettistes comme Felix Dörmann ou Felix Salten. Mais cet ensemble de travaux n’entend pas épuiser le sujet, bien au contraire : il espère éveiller la curiosité. Nous espérons insuffler un nouvel élan aux recherches sur Oscar Straus et nous invitons pour cela à suivre des pistes et des connexions qui n’ont pu être abordées ici. Si les perspectives que le lecteur découvrira dans les pages qui suivent ouvrent la voie à des publications et à des hypothèses ultérieures, nous aurons atteint notre but.

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Oscar Straus Beiträge zur Annäherung an einen zu Unrecht Vergessenen

 

 

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